Dans l’adultère, l’égalité des sexes ne prévaut pas
Posté : jeu. 25 août 2016 11:41
Sous leurs airs de paradis perdus gouvernés par l’érotisme et le secret, les relations extraconjugales reproduisent les schémas archaïques du couple institutionnel. L’homme y fixe les règles et la femme renonce à son émancipation.
Elle a fait des jardins secrets son champ d’investigation. La sociologue Marie-Carmen Garcia déterre ce qui y est enfoui : l’adultère. L’approche a été longue pour gagner la confiance des infidèles, recueillir 23 récits de vie. Des liaisons ordinaires, tapies dans l’ombre de couples qui battent de l’aile, celles de monsieur et madame Tout-le-Monde, qui se voient clandestinement quelques heures par semaine. Et puis, les amants tombent amoureux. Ce qui n’était qu’une passade dure finalement des années, voire des décennies. La double vie s’installe, douce, brutale. Voilà ce que la chercheuse nomme «l’extra-conjugalité durable», celle qui transgresse les normes du couple contemporain : la véracité, mais aussi l’égalité des sexes. Elle en a fait un livre, Amours clandestines, sociologie de l’extraconjugalité durable (Presses universitaires de Lyon, 2016).
Les relations extraconjugales sont souvent jugées superficielles car la sexualité y est centrale. Est-ce pour autant incompatible avec le sentiment amoureux ?
Quand j’ai expliqué à des collègues, que j’étudiais une population exprimant de l’amour pour leur partenaire caché, on m’a rétorqué que cela ne pouvait pas en être. La preuve ? Il ne s’installe pas avec elle. Il serait inadmissible que cela soit de l’amour parce qu’il n’y a pas de passage à l’officialisation, pas d’aboutissement… Et le rapport sexuel comme ressort permanent d’une relation hétérosexuelle n’est pas concevable. Il peut être seulement le levier de la passion dans les premiers temps. Sauf que dans ces relations-là, cela ne se tasse pas ! Se dessinent en creux nos représentations de l’amour : le couple établi. Dans le «véritable amour», on construit. Or, ces gens-là n’achètent pas de maison ensemble, ne font pas de projet… Ils ne construisent rien, sinon leur relation.
Comme si tout ce qui est secret était forcément faux.
L’avènement du couple contemporain, dans les années 60, a condamné le jardin secret. Désormais, il faut dire la vérité, tout se raconter, parler, se rendre des comptes.
Imaginaient-ils que leur liaison adultère puisse durer aussi longtemps ?
Absolument pas ! Personne n’a, à ma connaissance, pour projet de mener une double vie durablement. D’ailleurs, le passage à l’infidélité est souvent un moment douloureux après des années sans faux pas. Il y a un deuil du couple idéal à faire, de soi, une rupture avec l’image que les gens ont d’eux-mêmes… Ils transgressent la norme d’exclusivité et de véracité du couple contemporain.
Le sentiment amoureux permet aussi aux amants de légitimer leur liaison.
Ils expliquent par l’amour la durée de leur relation qui s’étend sur trois, dix, quarante ans… Les amants évoquent aussi un accomplissement de soi, une complémentarité, une respiration qui rend la vie conjugale supportable… Ils essaient de se dédouaner sans être complètement dupes. Sans ces autojustifications, un tel tiraillement serait intenable, ils deviendraient fous. L’argument premier pour aller voir ailleurs chez les hommes est qu’ils estiment le désir sexuel de leur femme insuffisant par rapport à ce qu’ils pensent être leurs propres besoins. Notre société admet qu’ils ont plus de besoins que les femmes. En revanche, pour les femmes, c’est plutôt le manque d’attention du conjoint. Les schémas sont classiques.
Certaines compétences sont-elles nécessaires pour mener une double-vie ?
Un certain sens de l’organisation, une bonne gestion du temps et des ressources mentales… La duplicité implique l’occultation ou le mensonge. Les hommes évitent bien souvent de mentir ouvertement, alors que la stratégie la plus répandue chez les femmes adultères consiste à ne rien dire de ce qu’elles font, où elles vont. Je pensais tomber sur des personnes qui ont baigné dès l’enfance dans des histoires de famille, des secrets… Eh bien, non.
Ces compétences s’acquièrent-elles au fil de l’extra-conjugalité ?
La personne qui a déjà eu des relations adultères de courte durée, testé un certain nombre de savoir-faire pour cacher cette relation, les met en œuvre dans la nouvelle liaison… Si l’autre n’a jamais trompé son conjoint, une initiation va se faire dès les premiers moments : ce qui peut être dit ou pas, l’usage du téléphone portable, de l’ordinateur, les lieux autorisés… Généralement, l’homme a l’expérience et forme sa maîtresse.
Les règles de l’homme s’imposent donc à la femme.
Oui, un ensemble d’interdictions. Il existe des stratégies mentales masculines, assez violentes symboliquement pour les femmes. Certains ne prononcent pas le prénom de la maîtresse dans les moments intimes pour ne pas commettre d’erreur quand ils sont avec leur compagne officielle. Malgré tout, au fil de l’histoire, une complicité et une loyauté s’installent entre les deux amants. Même la femme officiellement célibataire, maîtresse d’un homme engagé, finit par l’aider à dissimuler, fournit des alibis…
Paradoxalement, chez ces maîtresses, majoritairement des cadres, indépendantes, l’adultère est plus une domination qu’une émancipation…
C’est la dure réalité des injonctions contradictoires envers les femmes. Se libérer mais rester une femme de bonne vertu… intenable ! Les femmes ont eu des amants dans l’histoire, jamais très glorieux ni très heureux. Les hommes, dans la clandestinité, sont comme des poissons dans l’eau. Historiquement, avoir une maîtresse, ce n’est pas révolutionnaire : depuis l’Antiquité, il y a l’épouse, mère des enfants, et puis celle(s) avec qui on passe des bons moments. La maman et la putain, un clivage encore très présent socialement et psychiquement. La figure de la prostituée plane au-dessus du couple clandestin. Les femmes célibataires disent «se donner», expression valorisante de l’amour absolu. Cela leur permet de sortir du stigmate de la putain : elles ne sont pas des femmes faciles : si elles acceptent de subir ça, c’est parce qu’elles aiment un homme marié. Au bout d’un certain temps, elles veulent refaire un couple, avec leur amant. C’est très prégnant, elles sont sociologiquement et historiquement orientées, éduquées, pour être la femme d’un seul homme. Les hommes, eux, n’appartiennent à aucune femme.
La dissymétrie est frappante : elles se jettent corps et âme dans la relation clandestine quand les hommes eux, refrènent leurs élans amoureux…
Les hommes de plus de 60 ans, jeunes à une époque où l’on ne divorçait pas, disent, parfois dès le rapport sexuel terminé, qu’ils ne quitteront jamais leur femme. Pour les 40-50 ans, c’est dans le courant de la première année. Ils auront tous un mouvement, celui d’envisager partir avec cette femme qu’ils aiment, arrêter la double vie, les mensonges… Et puis vient la rétractation. Soit c’est la rupture, soit cela s’installe et dure. L’amante, bien qu’elle souhaite passer au couple officiel, s’accommode. Beaucoup finissent par se séparer de leur mari ou conjoint, et deviennent la maîtresse célibataire de l’homme qui, lui, ne quitte pas son épouse. Alors, elles attendent… Les hommes sont flattés de cette patience, cette passion, ils s’imaginent qu’elles sont heureuses d’échapper aux contraintes des épouses : laver les chaussettes, etc. Un couple dans lequel chacun lave ses chaussettes est inenvisageable.
On retrouve dans l’adultère une représentation assez archaïque du couple.
L’adultère est tenu par l’idéologie familiale. Il n’est qu’une de ses émanations, chevillée à l’institution conjugale dite traditionnelle.
Les femmes devraient s’en dégager au lieu de se libérer de leur mari ?
L’un n’empêche pas l’autre ! Les femmes continuent d’être socialisées, éduquées pour aimer et être aimées, avec validation par le masculin, le patron, le père, l’amant, l’époux. Du coup, il leur manque toujours quelque chose. L’autonomie n’est pas complète : elles font ou sont pour un homme, pour les enfants. Il ne suffit pas d’avoir un boulot, des enfants, un mari pour être heureuse. Au contraire, les hommes avec épouse et maîtresse jouissent de deux piliers affectifs.
Finalement, le jardin secret, c’est la loi de la jungle, celle du plus fort…
C’est l’une de mes conclusions majeures. Ces jardins secrets sont attrayants, imaginés comme des paradis perdus, secrets, très érotiques, stimulants. Mais la norme d’égalité entre les sexes, qui travaille le couple contemporain officiel, n’y prévaut pas. Même inégalitaire, il est entouré d’une législation, d’un cadre normatif. Alors que l’adultère est le lieu où l’on s’arroge le droit de ne pas être égaux. L’homme dicte les règles, fixe les rendez-vous, les annule, s’absente, part en vacances avec sa femme. Les maîtresses, elles, calent leurs congés et week-ends en fonction de ceux de l’amant. Elles ne sont plus la cadre supérieure, la chirurgienne ou la magistrate, elles se soumettent à certaines attentes archaïques : se faire belle, accourir dès qu’il est là, être gentille, toujours disponible, même sexuellement. Les hommes expriment un bien-être psychologique. Les femmes ne nagent pas dans le bonheur. Mais n’est-ce pas difficile aussi dans les couples officiels ? Et puis, l’amour est intranquille.
Une maîtresse heureuse, est-ce possible ?
Il faut au minimum abandonner l’idée de l’officialisation. Les jeunes générations parviendront peut-être à évacuer l’idée que si l’on n’est pas la compagne officielle, on n’est rien. C’est la clé. Elles doivent rationaliser : ce que vit l’épouse, c’est ce qu’elles vivent elles, chez elles. Le système patriarcal encourage les femmes à rivaliser entre elles pour avoir la première place, être celle qui est reconnue légalement, socialement, affectivement, psychiquement par cet homme-là. Il faudrait une solidarité féminine au moins symbolique. Ce que les hommes savent très bien faire : le mari trompé n’est pas un rival, c’est le mâle alpha, complètement absent de l’équation. L’amant n’aspire pas à la place d’époux, la maîtresse le convainc déjà qu’il est le meilleur. L’amant, c’est la puissance.
La femme peut-elle accéder à une position de dominante ?
Ce serait une femme mariée avec un amant célibataire, très rare. Mais les hommes amoureux de femmes mariées n’attendent pas. Ils ont d’autres partenaires occasionnelles et ne passent pas leurs vacances à côté du téléphone. L’attente est féminine. Une dame âgée m’avait dit : au moins, avec le portable, on peut sortir de chez soi.
Quand on a ménagé une place dans sa vie pour la clandestinité, parvient-on à la laisser vacante ?
L’extraconjugalité durable est une socialisation secondaire puissante, il y a incorporation de normes et de valeurs, d’une culture, d’un rapport au monde et à soi. Elle transforme l’individu, il est ardu de revenir en arrière, de retourner à une vie intime complètement unifiée après une double vie. Au sortir des relations extraconjugales longues, ils disent tous, «plus jamais ça». Et pourtant…
Source
Elle a fait des jardins secrets son champ d’investigation. La sociologue Marie-Carmen Garcia déterre ce qui y est enfoui : l’adultère. L’approche a été longue pour gagner la confiance des infidèles, recueillir 23 récits de vie. Des liaisons ordinaires, tapies dans l’ombre de couples qui battent de l’aile, celles de monsieur et madame Tout-le-Monde, qui se voient clandestinement quelques heures par semaine. Et puis, les amants tombent amoureux. Ce qui n’était qu’une passade dure finalement des années, voire des décennies. La double vie s’installe, douce, brutale. Voilà ce que la chercheuse nomme «l’extra-conjugalité durable», celle qui transgresse les normes du couple contemporain : la véracité, mais aussi l’égalité des sexes. Elle en a fait un livre, Amours clandestines, sociologie de l’extraconjugalité durable (Presses universitaires de Lyon, 2016).
Les relations extraconjugales sont souvent jugées superficielles car la sexualité y est centrale. Est-ce pour autant incompatible avec le sentiment amoureux ?
Quand j’ai expliqué à des collègues, que j’étudiais une population exprimant de l’amour pour leur partenaire caché, on m’a rétorqué que cela ne pouvait pas en être. La preuve ? Il ne s’installe pas avec elle. Il serait inadmissible que cela soit de l’amour parce qu’il n’y a pas de passage à l’officialisation, pas d’aboutissement… Et le rapport sexuel comme ressort permanent d’une relation hétérosexuelle n’est pas concevable. Il peut être seulement le levier de la passion dans les premiers temps. Sauf que dans ces relations-là, cela ne se tasse pas ! Se dessinent en creux nos représentations de l’amour : le couple établi. Dans le «véritable amour», on construit. Or, ces gens-là n’achètent pas de maison ensemble, ne font pas de projet… Ils ne construisent rien, sinon leur relation.
Comme si tout ce qui est secret était forcément faux.
L’avènement du couple contemporain, dans les années 60, a condamné le jardin secret. Désormais, il faut dire la vérité, tout se raconter, parler, se rendre des comptes.
Imaginaient-ils que leur liaison adultère puisse durer aussi longtemps ?
Absolument pas ! Personne n’a, à ma connaissance, pour projet de mener une double vie durablement. D’ailleurs, le passage à l’infidélité est souvent un moment douloureux après des années sans faux pas. Il y a un deuil du couple idéal à faire, de soi, une rupture avec l’image que les gens ont d’eux-mêmes… Ils transgressent la norme d’exclusivité et de véracité du couple contemporain.
Le sentiment amoureux permet aussi aux amants de légitimer leur liaison.
Ils expliquent par l’amour la durée de leur relation qui s’étend sur trois, dix, quarante ans… Les amants évoquent aussi un accomplissement de soi, une complémentarité, une respiration qui rend la vie conjugale supportable… Ils essaient de se dédouaner sans être complètement dupes. Sans ces autojustifications, un tel tiraillement serait intenable, ils deviendraient fous. L’argument premier pour aller voir ailleurs chez les hommes est qu’ils estiment le désir sexuel de leur femme insuffisant par rapport à ce qu’ils pensent être leurs propres besoins. Notre société admet qu’ils ont plus de besoins que les femmes. En revanche, pour les femmes, c’est plutôt le manque d’attention du conjoint. Les schémas sont classiques.
Certaines compétences sont-elles nécessaires pour mener une double-vie ?
Un certain sens de l’organisation, une bonne gestion du temps et des ressources mentales… La duplicité implique l’occultation ou le mensonge. Les hommes évitent bien souvent de mentir ouvertement, alors que la stratégie la plus répandue chez les femmes adultères consiste à ne rien dire de ce qu’elles font, où elles vont. Je pensais tomber sur des personnes qui ont baigné dès l’enfance dans des histoires de famille, des secrets… Eh bien, non.
Ces compétences s’acquièrent-elles au fil de l’extra-conjugalité ?
La personne qui a déjà eu des relations adultères de courte durée, testé un certain nombre de savoir-faire pour cacher cette relation, les met en œuvre dans la nouvelle liaison… Si l’autre n’a jamais trompé son conjoint, une initiation va se faire dès les premiers moments : ce qui peut être dit ou pas, l’usage du téléphone portable, de l’ordinateur, les lieux autorisés… Généralement, l’homme a l’expérience et forme sa maîtresse.
Les règles de l’homme s’imposent donc à la femme.
Oui, un ensemble d’interdictions. Il existe des stratégies mentales masculines, assez violentes symboliquement pour les femmes. Certains ne prononcent pas le prénom de la maîtresse dans les moments intimes pour ne pas commettre d’erreur quand ils sont avec leur compagne officielle. Malgré tout, au fil de l’histoire, une complicité et une loyauté s’installent entre les deux amants. Même la femme officiellement célibataire, maîtresse d’un homme engagé, finit par l’aider à dissimuler, fournit des alibis…
Paradoxalement, chez ces maîtresses, majoritairement des cadres, indépendantes, l’adultère est plus une domination qu’une émancipation…
C’est la dure réalité des injonctions contradictoires envers les femmes. Se libérer mais rester une femme de bonne vertu… intenable ! Les femmes ont eu des amants dans l’histoire, jamais très glorieux ni très heureux. Les hommes, dans la clandestinité, sont comme des poissons dans l’eau. Historiquement, avoir une maîtresse, ce n’est pas révolutionnaire : depuis l’Antiquité, il y a l’épouse, mère des enfants, et puis celle(s) avec qui on passe des bons moments. La maman et la putain, un clivage encore très présent socialement et psychiquement. La figure de la prostituée plane au-dessus du couple clandestin. Les femmes célibataires disent «se donner», expression valorisante de l’amour absolu. Cela leur permet de sortir du stigmate de la putain : elles ne sont pas des femmes faciles : si elles acceptent de subir ça, c’est parce qu’elles aiment un homme marié. Au bout d’un certain temps, elles veulent refaire un couple, avec leur amant. C’est très prégnant, elles sont sociologiquement et historiquement orientées, éduquées, pour être la femme d’un seul homme. Les hommes, eux, n’appartiennent à aucune femme.
La dissymétrie est frappante : elles se jettent corps et âme dans la relation clandestine quand les hommes eux, refrènent leurs élans amoureux…
Les hommes de plus de 60 ans, jeunes à une époque où l’on ne divorçait pas, disent, parfois dès le rapport sexuel terminé, qu’ils ne quitteront jamais leur femme. Pour les 40-50 ans, c’est dans le courant de la première année. Ils auront tous un mouvement, celui d’envisager partir avec cette femme qu’ils aiment, arrêter la double vie, les mensonges… Et puis vient la rétractation. Soit c’est la rupture, soit cela s’installe et dure. L’amante, bien qu’elle souhaite passer au couple officiel, s’accommode. Beaucoup finissent par se séparer de leur mari ou conjoint, et deviennent la maîtresse célibataire de l’homme qui, lui, ne quitte pas son épouse. Alors, elles attendent… Les hommes sont flattés de cette patience, cette passion, ils s’imaginent qu’elles sont heureuses d’échapper aux contraintes des épouses : laver les chaussettes, etc. Un couple dans lequel chacun lave ses chaussettes est inenvisageable.
On retrouve dans l’adultère une représentation assez archaïque du couple.
L’adultère est tenu par l’idéologie familiale. Il n’est qu’une de ses émanations, chevillée à l’institution conjugale dite traditionnelle.
Les femmes devraient s’en dégager au lieu de se libérer de leur mari ?
L’un n’empêche pas l’autre ! Les femmes continuent d’être socialisées, éduquées pour aimer et être aimées, avec validation par le masculin, le patron, le père, l’amant, l’époux. Du coup, il leur manque toujours quelque chose. L’autonomie n’est pas complète : elles font ou sont pour un homme, pour les enfants. Il ne suffit pas d’avoir un boulot, des enfants, un mari pour être heureuse. Au contraire, les hommes avec épouse et maîtresse jouissent de deux piliers affectifs.
Finalement, le jardin secret, c’est la loi de la jungle, celle du plus fort…
C’est l’une de mes conclusions majeures. Ces jardins secrets sont attrayants, imaginés comme des paradis perdus, secrets, très érotiques, stimulants. Mais la norme d’égalité entre les sexes, qui travaille le couple contemporain officiel, n’y prévaut pas. Même inégalitaire, il est entouré d’une législation, d’un cadre normatif. Alors que l’adultère est le lieu où l’on s’arroge le droit de ne pas être égaux. L’homme dicte les règles, fixe les rendez-vous, les annule, s’absente, part en vacances avec sa femme. Les maîtresses, elles, calent leurs congés et week-ends en fonction de ceux de l’amant. Elles ne sont plus la cadre supérieure, la chirurgienne ou la magistrate, elles se soumettent à certaines attentes archaïques : se faire belle, accourir dès qu’il est là, être gentille, toujours disponible, même sexuellement. Les hommes expriment un bien-être psychologique. Les femmes ne nagent pas dans le bonheur. Mais n’est-ce pas difficile aussi dans les couples officiels ? Et puis, l’amour est intranquille.
Une maîtresse heureuse, est-ce possible ?
Il faut au minimum abandonner l’idée de l’officialisation. Les jeunes générations parviendront peut-être à évacuer l’idée que si l’on n’est pas la compagne officielle, on n’est rien. C’est la clé. Elles doivent rationaliser : ce que vit l’épouse, c’est ce qu’elles vivent elles, chez elles. Le système patriarcal encourage les femmes à rivaliser entre elles pour avoir la première place, être celle qui est reconnue légalement, socialement, affectivement, psychiquement par cet homme-là. Il faudrait une solidarité féminine au moins symbolique. Ce que les hommes savent très bien faire : le mari trompé n’est pas un rival, c’est le mâle alpha, complètement absent de l’équation. L’amant n’aspire pas à la place d’époux, la maîtresse le convainc déjà qu’il est le meilleur. L’amant, c’est la puissance.
La femme peut-elle accéder à une position de dominante ?
Ce serait une femme mariée avec un amant célibataire, très rare. Mais les hommes amoureux de femmes mariées n’attendent pas. Ils ont d’autres partenaires occasionnelles et ne passent pas leurs vacances à côté du téléphone. L’attente est féminine. Une dame âgée m’avait dit : au moins, avec le portable, on peut sortir de chez soi.
Quand on a ménagé une place dans sa vie pour la clandestinité, parvient-on à la laisser vacante ?
L’extraconjugalité durable est une socialisation secondaire puissante, il y a incorporation de normes et de valeurs, d’une culture, d’un rapport au monde et à soi. Elle transforme l’individu, il est ardu de revenir en arrière, de retourner à une vie intime complètement unifiée après une double vie. Au sortir des relations extraconjugales longues, ils disent tous, «plus jamais ça». Et pourtant…
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