Je t'aime, je te trompe.

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Revue du sujet
       

Étendre la vue Revue du sujet : Je t'aime, je te trompe.

Je t'aime, je te trompe.

par Eugene » lun. 16 avr. 2018 09:10

A New York, dans son cabinet de psychothérapeute, Esther Pérel a vu défiler des centaines de couples ayant besoin d'aide.

Et puis, il y a quelques années, elle a commencé à s'intéresser plus précisément à un sujet : l'infidélité. De cette exploration est d'abord sortie cette géniale conférence TED, vue plus de neuf millions de fois.

On peut l'y entendre dire :

"L'adultère existe depuis que le mariage a été inventé, et il en est de même pour le tabou qui l'entoure."

"En fait, l'infidélité a une ténacité que le mariage ne peut qu'envier, à tel point que c'est le seul commandement qui est répété deux fois dans la Bible : une fois pour l'avoir fait et une fois pour y avoir simplement pensé (rires)."

"Comment réconcilier ce qui est universellement interdit, et pourtant universellement fait ?"


Puis, elle a fait un livre, "Je t'aime, je te trompe", best-seller aux Etats-Unis, qui vient d'être traduit en français (Eds. Robert Laffont).

Rue89 : Pourquoi avoir commencé à vous intéresser à ce sujet ? Est-ce qu'il y a eu un déclic ?

Esther Pérel : D'abord, il y a eu mon premier livre ("L'intelligence érotique") qui parlait de l'affaire Monica Lewinsky. En tant qu'Européenne (Esther Pérel est Belge, ndlr), je me suis dit : ces Américains, ça crie dès qu'il y a une transgression mais ça ne bronche pas quand il y a trois divorces. On peut divorcer, démanteler la famille, tout dénouer, mais est-ce que c'est vraiment toujours le mieux ?

Aux Etats-Unis, l'approche de ce sujet est polarisante, même chez les psys. On est soit "bon", soit "méchant". Victime ou bourreau. Comment se fait-il qu'on ne puisse pas avoir une approche plus nuancée et bienveillante ? Et plus utile pour tout le monde, pour les trompé-s, les amants, les infidèles, les enfants. On peut faire mieux !

Votre but avec ce travail, c'est de déculpabiliser ?

Pas tellement de déculpabiliser mais de dépathologiser. Plus profondément, mon but est de prendre un sujet souvent “dogmatisé”, simplifié, caché (ce qui entretient une culpabilisation) et d'essayer d'en comprendre toute la complexité. En fait je déteste l’arbitraire. Quand on dit ; “c'est comme ça”.

Oui, c'est ce que vous dites, qu'il ne peut pas y avoir des millions de personnes qui sont infidèles et toutes atteintes d'un problème narcissique ou psychologique...

Exactement ! Je ne suis pas là pour juger. Je ne suis pas la police morale... Même si de temps en temps, je juge.

Quand est-ce que vous jugez les gens ?

Il y a des comportements que je trouve plus déplorables que d'autres forcément. Parfois je vois des gens, je me dis : "c'est lamentable". "Mais vraiment ? Trois bébés ailleurs et un quatrième encore ailleurs ? Bah alors !" En tant que psy, on a toutes les émotions, parfois on est dans l'envie, parfois on est dans le fantasme, parfois on se sent un peu supérieur et parfois inférieur, comme pour les acteurs d'un film, au cinéma.

J'ai l'impression qu'il y a une tension sociétale. D'un côté, on dit qu'il faut être monogame, de l'autre on promeut l'intensité, la passion, l’excitation et le désir. Qu'en pensez-vous ?

C'est tout à fait ça. "C'est bien comme ça" n'est plus une phrase d'aujourd'hui. On veut toujours mieux. Toujours plus.

Aujourd'hui, on ne se sépare plus parce qu'on est malheureux mais parce qu'on pourrait être plus heureux. L'infidélité, c'est un peu ça aussi. Beaucoup de gens qui sont infidèles ne veulent pas nécessairement quitter leur couple : ils veulent le stabiliser, l'augmenter, le compléter.

L'infidèle reste parfois en couple parce qu'il est encore très amoureux de la personne avec laquelle il vit, même si c'est une autre forme d'amour. Ou pour mille autres raisons. Mais ceux qui sont très mal en couple se séparent.

On ne s'arrête pas forcément d'aimer quand on trompe ?

Pas forcément non. C'est la grande révélation pour moi. L'infidélité, qui est un symptôme d'un couple dysfonctionnel, a déjà été décrite. Ce qui m'a intéressée, dans ce livre, ce sont les gens qui disaient :

"Je ne suis pas allé-e voir ailleurs pour trouver quelqu'un d'autre, mais pour me retrouver moi. Ce n'est pas mon partenaire que je veux quitter, c'est la personne que je suis devenue."

C'est quelque chose d'intéressant à écouter en plus d'être terriblement déculpabilisant pour le ou la partenaire trompé-e. C'est un trip personnel. Mais la question est : quelle place peut avoir un trip personnel à l'intérieur d'un couple qui n'est pas personnel ?

Quelles sont les situations propices à l'adultère ? Vous parlez du deuil, mais ne peut-on pas aussi parler de la maternité ?

Oui ! On appelle ça la "matrescence". Comme l'adolescence, il y a la "matrescence". C'est très courant que les femmes aient envie de retrouver la femme cachée derrière la mère. Elles disent en substance : "Je m'occupe de tout le monde, je suis la "mère de", la "femme de", "la fille", ça, là, c'est pour moi". J'entends peu d'hommes me dire : "J'étais devenu tellement père que j'avais besoin de me retrouver."

L'infidélité peut être un espace à soi qui est forcé. Quelqu'un a du mal à trouver son espace personnel et va avoir besoin de la frontière avec le secret pour le créer. Le secret devient un chemin vers l'autonomie.

Et la mort ?

Le thème de la mort, je l'ai vu apparaître petit à petit. La première fois que je l'ai réalisé, c'était le 11 septembre. La deuxième fois, c'était la guerre d’Irak. J'étais partie en Israël et il y avait tous ces gens qui étaient dans les chambres avec des masques à gaz. Il y avait un taux d’infidélité incroyable, ça baisait de tous les côtés. "La vie est courte et je veux encore une fois…"

C’est un déclencheur comme la maladie, l'infertilité, la maternité. L'enfant qui vient, mais aussi l'enfant qui part. L’enfant qui quitte la maison et l’enfant qui rentre dans la maison. Ou même une promotion au boulot… "Maintenant que j'ai ce poste, je mérite enfin".

Toutes les transitions sont des moments fragiles. On est en réflexion sur sa vie. L’infertilité, par exemple, est un déclencheur fréquent chez les femmes. Elles ont besoin de se prouver qu’elles ne sont pas déficientes, que leur corps n’est pas cassé. Les femmes qui ont eu un cancer du sein, peuvent aussi avoir envie d’être avec quelqu’un qui n’a pas vu le sein coupé ou les cicatrices.

Une amie à moi répète souvent qu’un amant a toujours une fonction. Vous en pensez quoi ?

Oui moi j’appelle ça le sens. Chaque transgression a un sens. Chaque infidélité a un sens. Il y a un message derrière chacune, il faut l’interpréter.

Ce n'est jamais gratuit, de tromper ?

Si, mais le gratuit a un sens aussi. C’est comme les gens qui disent "cela ne veut rien dire. Je suis resté 20 minutes chez lui et je suis repartie..."

Mais vous savez quels efforts il faut faire pour que quelque chose dure peu et ne vaille rien ? Je veux dire que c’est aussi un investissement psychique de rendre quelque chose insignifiant…

Il y a des infidélités que vous trouvez saines ?

Que je trouve utiles, oui. Et bienveillantes. Je pense à cet homme dont la femme avait Alzheimer et qui me demandait : "Est-ce que c’est tromper quand l’autre ne connait plus votre prénom ?"

Ces gens qui restent pour leur partenaire qui a le cancer, qui a le sida, qui n’est pas en état, qui ne peut plus, ou ne veut plus, mais qu'ils n'ont pas envie de quitter pour autant.

Dans plein de situations comme ça, je me dis "cela fait sens". Je ne dis pas "c'est sain" ou "c'est bien" ou "c'est pas bien”, je dis "cela fait sens". La vie c’est compliqué. Alors on va me dire que ces histoires compliquées sont marginales. Moi je crois que c’est beaucoup plus courant qu’on ne le croit.

Vous croyez que lorsqu'on aura déconstruit ce tabou de l'infidélité, on ira collectivement vers le polyamour ?

Je n'en sais rien. Ce qui est sûr, c’est qu'on attend souvent tout d’une seule personne, et que quand cela ne marche pas, on ne dit pas que le modèle n’est pas bon, mais qu’on a mal choisi la personne.

D'ailleurs, les divorcés sont les vrais idéalistes. Contrairement aux cyniques et aux désillusionnés, ils pensent que le modèle est bon et qu’ils ont juste mal choisi "la personne". Ils vont aller refaire le même modèle avec quelqu’un d’autre. Parfois, ça sera mieux. Parfois non.

Quand faut-il s'inquiéter pour son couple ?

Quand la personne trompée parle de sa douleur et que l’infidèle n’a aucune empathie, c'est mauvais signe ("arrête un peu avec ce sujet, on en a déjà parlé mille fois, je me suis déjà excusé"). Ou alors, à l’inverse, quand la personne infidèle a déjà fait ses excuses mille fois, pris ses responsabilités, assumé ses actes avec bienveillance etc., mais que l’autre ne peut pas s’empêcher d'y revenir à chaque instant. Là je m’inquiète.

Vous dites aussi qu’il y a plein de façons de trahir finalement... Que l'infidélité n'est pas qu'un passage à l'acte.

Et que la victime de l’infidélité n’est pas toujours la victime du couple, oui. Ça, c’est évident. Moi je vois des gens qui traitent leur partenaire assez pauvrement, mais comme ce ne sont pas ceux qui trompent, ils pensent qu’ils ont une supériorité morale.

J’ai eu un jour un couple dont je me souviens. L'homme était là, en train de l’engueuler : "pouffiasse, blablabla, je te hais". C'est là que j’ai dit cette phrase pour la première fois : "betrayal comes in many forms" [la trahison se loge partout, ndlr]. Ce n’est pas parce que vous n’avez pas couché ailleurs que vous ne l’avez pas abandonnée depuis très longtemps. Je ne dis pas que ce qu’elle a fait est bien, mais qu'il faut être honnête.

Il y a des couples pour lesquels vous savez au bout de 10 minutes dans votre cabinet que ça ne va pas aller ?

Ah oui c’est clair. J’en ai un dont je parle dans le livre. En 20 minutes, je m’étais dit que l'histoire était finie. La femme n’avait aucun désir pour cet homme. Elle l’aimait beaucoup, mais elle n’avait pas de désir.

Lui il souffrait terriblement de ça. Et comme son père avait trompé sa mère pendant des années et qu'il s'était promis de ne pas reproduire, il allait passer sa vie à attendre que cette femme veuille de lui. Je me suis dit qu’il fallait libérer cet homme, il a failli me tuer, mais je lui ai dit "c’est fini".

Tous les deux sont restés super bons parents, ils se voient chaque semaine. Ils ont une grande bienveillance l’un pour l’autre. Je l’ai rencontré deux ans après et il m’a remerciée. Après la rupture, il est devenu l’amant guérisseur de nombreuses femmes blessées...

Peut-on tromper sans sexe ? Juste, par exemple, en partageant tout avec quelqu'un qui n'est pas son partenaire ?

Hmm, oui, c'est possible. Moi je ne définis pas l’infidélité par la sexualité. L’infidélité, c’est un script érotique. Ce n'est pas un script sexuel. C’est une histoire de désir, pas une histoire de plaisir. Parfois c’est juste un baiser qu’on imagine donner et qui nourrit notre imaginaire érotique.

C’est une erreur de focaliser sur le sexe quand on parle d’infidélité, il faut focaliser sur la transgression. C'est la rupture des règles, c’est ne pas faire ce que je dois faire, c'est ne pas être un citoyen responsable, c’est être quelqu’un d’autre que la personne que je suis toujours. C’est ce qu’on appelle "imaginary play" chez les enfants (jeux d'invention).

Sauf que cela peut faire très mal à l’autre. C'est pour ça que pour beaucoup de gens, ça serait pas mal s’ils changeaient le contrat de couple. Mais les gens préfèrent négocier la monogamie avec eux-mêmes.

Ce qui est important c’est de bien parler de cette question de la fidélité à l’intérieur du couple, non ?

Oui, d’ailleurs dans les couples polyamoureux ou non monogames, la conversation est ouverte. L’ouverture est moins une ouverture sexuelle qu’une ouverture de la conversation. Souvent ils ne font pas grand chose, mais le fait que le sujet en soi soit ouvert permet de respirer.

Mais la plupart des couples hétéros ont un contrat de cinq mots en anglais. "I catch you, you dead", "si je t’attrape, t’es dehors".

Cette conversation est d’autant plus complexe à l’heure des réseaux sociaux. On se rencontre après avoir eu des milliers de gens au bout des doigts grâce aux applis. Le partenaire devient l'élu, l'âme soeur, celui qui a été choisi parmi des milliers... Comment, dans ces conditions, les gens peuvent-ils parler des autres et de la question de la fidélité ?

Vous pensez que l’infidélité sera toujours un problème ?

L’infidélité a toujours existé et elle continuera d’exister. Elle changera juste de sens et de conséquences.

Peut-être que dans un siècle, tromper sera être avec son robot. Notons qu’aujourd’hui, c’est la première fois qu’on peut tromper quelqu’un tout en étant couché à côté de lui dans le lit.

Peut-on vivre sans passion érotique, sexuelle ?

Oui, il y a des gens qui ont des passions pour la nature, pour les animaux ou pour l’art. Il y a plein de sources différentes de passion. Mais sinon, oui, on peut aussi vivre sans érotisme, sans se sentir ultra-vivant, sans avoir cette énergie vitale là. On peut vivre à petit feu. Mais ce n’est pas forcément simple, dans le contexte actuel. Si dans le passé, on était honteux quand on avait eu des rapports interdits, aujourd’hui on est honteux quand on n'en a pas. Il y a une tyrannie du "il faut être sexuel"...

Une autre jeune femme nous a écrit "Je suis infidèle mais je me sens fidèle avec moi-même". Vous en pensez quoi ?

Il y a des gens qui me disent ça. "Je mens à l’autre, et pour la première fois je suis honnête avec moi-même." Parfois le mensonge est cruel et destructeur, parfois il est bienveillant. La révélation peut être cruelle.

Les gens disent "je voulais être honnête, je voulais être transparent", ça veut dire quoi ça ? Tu as menti et maintenant tu veux être transparent ? Ton cauchemar s’arrête et celui de l’autre commence ?

Vous vivez aux Etats-Unis. Quelle différence constatez-vous entre les Américains et nous sur ce sujet ?

Avoir un accent français pour parler de la sexualité est un avantage. Mais avoir un accent français pour parler de l’infidélité est un désavantage (rires). Les Américains pensent que les Français sont des dévergondés et que tout le monde ici à une maîtresse ou une double vie.

En réalité, les Américains ne trompent pas moins que les Français, mais ils se sentent plus coupables parce que c’est vu là-bas comme une infraction morale. Et pas comme une blessure relationnelle. C’est la différence entre "wrong" et "hurtful". En France, l'infidélité est vue comme quelque chose qui peut se passer et ça fait partie de la vie d’un couple.

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