par Elemiah » dim. 11 déc. 2016 19:58
source ;
http://www.lexpress.fr/styles/psycho/en ... 27710.html
Face à des parents dysfonctionnels, certains enfants développent une dynamique de consolation. Un mécanisme aliénant qui devient souvent leur seule façon d'interagir avec autrui et de se sentir aimé à l'âge adulte. Décryptage.
Manon ne s'explique pas pourquoi les hommes qu'elle rencontre sont toujours immatures, la contraignant à assumer auprès d'eux une figure d'autorité qu'elle refuse pourtant. De son côté, Hugo ne se sent attiré que par des femmes fragiles ou dépressives. Il voudrait en être aimé de façon adulte mais il se sent toujours obligé de les prendre en charge.
Lorsque Manon ou Hugo entrent dans le cabinet du psy pour comprendre ce qui conditionne aussi fortement leur vie affective, ce ne sont pas que deux adultes qui entrent dans la pièce. Assis à côté d'eux, il y a un petit garçon ou une petite fille du passé qui se trouvent emprisonnés dans sa propre histoire.
Comment exister quand son parent à du mal à exister lui-même?
Le fait de devenir parent n'éradique pas les carences, lacunes et blessures de celui et celle qui accueille un enfant au sein de son foyer. C'est bien baigné dans le climat psychique de chaque parent que l'enfant va grandir, apprendre et ajuster ses comportements. Si ces climats psychiques parentaux sont suffisamment harmonieux et pacifiés, l'enfant aura toutes les chances de croître, en intégrant en lui ces schémas de paix et d'harmonie.
Mais qu'en est-il quand l'un des parents (ou les deux...) sont "dysfonctionnels", portant en eux un lourd passif de névroses, de peurs ou de tourments? Comment un enfant parvient-il à exister quand son parent a bien du mal à exister lui-même? En devenant le thérapeute de son parent.
S'oublier inconsciemment...
C'est ainsi que naît ce qu'on appelle la dynamique du "Sauveur": l'enfant apprend à répondre aux besoins de ses parents (et des autres par extension), en négligeant totalement les siens. Cela donne, une fois adulte, des personnes qui savent remarquablement prendre soin des autres et être extrêmement attentives, mais qui se trouve incapable de faire pour elles-mêmes le dixième de ce qu'elles font pour autrui.
Elles oublient leurs propres besoins, ne leur accordent aucune importance et ne les font figurer qu'en bas de la liste des priorités d'autrui. Elles se maltraitent et se font violence, sans en avoir conscience un seul instant.
Ce statut de "Sauveur" va en quelque sorte devenir leur identité, leur seule et unique façon d'interagir avec autrui et de se sentir aimé et accepté. S'ils ne prennent pas en charge, ils ont l'impression de ne pas exister, l'impression d'être vide et sans consistance car, dans le domaine affectif, "la prise en charge de l'autre" a été leur seul schéma de référence.
... jusqu'à la mise en place d'un schéma de prise en charge systématique d'autrui
Plus en profondeur, ces enfants ont appris, au contact de leur parent dysfonctionnel, dont ils avaient besoin de l'amour pour exister, que, pour être aimé, il fallait prendre en charge le parent, l'aider, le soutenir, répondre à toutes ses attentes, réparer tous ses traumas, panser toutes ses blessures... et faire tout pour que ce parent ne s'écroule pas. En effet, "Comment pourrais-je donc vivre si ma source principale d'amour et de sécurité s'effondre?" pense-t-il. C'est impossible, c'est inconcevable et c'est surtout tellement angoissant que l'enfant va se donner corps et âme pour "sauver" ce parent dont la fragilité le terrifie.
Le problème réside dans le fait que l'enfant n'a pas les moyens psychiques, intellectuels et émotionnels pour porter un adulte sur ses épaules. Il l'ignore au moment où cela se passe, mais il ne peut qu'échouer face à la tâche impossible qu'il s'assigne. Et ce sentiment d'échec va le tarauder toute sa vie: une fois adulte, il va sans cesse essayer de réussir là où il a échoué avec son parent et il va ainsi essayer de reproduire avec toutes les personnes qu'il aime ce même schéma de prise en charge désespéré (mais de toutes façons toujours voué à l'échec), et cela, même si cette personne ne le demande pas! Pour affiner les choses, l'enfant-adulte "Sauveur" va donc "choisir" -le plus souvent inconsciemment- les personnes qui sont "éligibles" à sa prise en charge.
De l'éviction inconsciente des personnes "saines"
Maman était déprimée chronique? L'enfant-adulte "Sauveur" va se sentir particulièrement attiré par des hommes ou des femmes souffrant également de dépression ou de toute autre fragilité de ce type; poursuivant ainsi sa démarche de "Thérapeute ou Sauveur de Maman", en espérant, cette fois-ci, réussir à le/la sortir de son malheur. Papa était un être dépendant affectivement, un peu immature, n'assumant pas ses responsabilités de père ni de mari? Il ou elle va également tomber amoureux(se) d'êtres immatures, le contraignant à reproduire des schémas de prise en charge afin de pallier toutes leurs carences, comme il n'a cessé de le faire étant enfant.
Malheureusement, ce "choix" sélectif de partenaires correspondant aux fragilités de son parent d'autrefois écarte et évince inconsciemment de son champ relationnel toutes les personnes "saines" (ou du moins sans faille psychique majeure) qui, elles, pourraient le rendre vraiment heureux/se, en lui permettant de renoncer à ce schéma toxique d'aide compulsive où il s'oublie lui-même. Pourtant, quelque part, l'enfant-adulte "Sauveur" aspire à rencontrer ces personnes, mais son mode de fonctionnement de "Sauveur" fait que, si c'est le cas, il sabote plus ou moins consciemment cette nouvelle relation car elle ne correspond pas à son besoin de réparation et de prise en charge compulsive. Il faut le comprendre: ne pas vouloir être pris en charge par lui signifie ne pas l'aimer!
Déconstruire la dynamique et gérer la culpabilité
Ces schémas doivent impérativement être identifiés, avant de pouvoir travailler sur soi-même. Ce n'est bien souvent qu'au cours d'une psychothérapie que cela est possible. Une fois identifiés, il va apprendre à remettre en question la pertinence de ces schémas, auxquels la personne en thérapie s'accroche paradoxalement très fortement car elle est persuadée qu'ils sont leur nature profonde. Ils redoutent de perdre une partie d'identité s'ils s'en affranchissent.
Il est également nécessaire de travailler la culpabilité qui s'élève en soi quand on commence à renoncer à aider, alors qu'on a fonctionné ainsi depuis qu'on est petit. Car le coeur est là: renoncer à aider, à sauver coûte que coûte et comprendre que cela ne fait pas de soi un être sans consistance. Ce n'est qu'à ce prix que l'on parviendra vraiment à aimer l'autre, sans l'instrumentaliser pour servir les exigences asservissantes de sa propre névrose de Sauveur.
Le Dr Christophe Fauré est psychiatre - psychothérapeute en pratique libérale à Paris. Il est auteur de nombreux ouvrages chez Albin Michel, dont Vivre le deuil au jour le jour, Après le suicide d'un proche, et Comment t'aimer toi et tes enfants? Le défi de la famille recomposée, Albin Michel.
source ; http://www.lexpress.fr/styles/psycho/enfant-bequille-ou-sauveur-quand-l-enfant-est-le-therapeute-des-parents_1627710.html
Face à des parents dysfonctionnels, certains enfants développent une dynamique de consolation. Un mécanisme aliénant qui devient souvent leur seule façon d'interagir avec autrui et de se sentir aimé à l'âge adulte. Décryptage.
[highlight=yellow]Manon ne s'explique pas pourquoi les hommes qu'elle rencontre sont toujours immatures, la contraignant à assumer auprès d'eux une figure d'autorité qu'elle refuse pourtant. De son côté, Hugo ne se sent attiré que par des femmes fragiles ou dépressives. Il voudrait en être aimé de façon adulte mais il se sent toujours obligé de les prendre en charge.[/highlight]
Lorsque Manon ou Hugo entrent dans le cabinet du psy pour comprendre ce qui conditionne aussi fortement leur vie affective, ce ne sont pas que deux adultes qui entrent dans la pièce. Assis à côté d'eux, il y a un petit garçon ou une petite fille du passé qui se trouvent emprisonnés dans sa propre histoire.
Comment exister quand son parent à du mal à exister lui-même?
Le fait de devenir parent n'éradique pas les carences, lacunes et blessures de celui et celle qui accueille un enfant au sein de son foyer. C'est bien baigné dans le climat psychique de chaque parent que l'enfant va grandir, apprendre et ajuster ses comportements. Si ces climats psychiques parentaux sont suffisamment harmonieux et pacifiés, l'enfant aura toutes les chances de croître, en intégrant en lui ces schémas de paix et d'harmonie.
Mais qu'en est-il quand l'un des parents (ou les deux...) sont "dysfonctionnels", portant en eux un lourd passif de névroses, de peurs ou de tourments? Comment un enfant parvient-il à exister quand son parent a bien du mal à exister lui-même? En devenant le thérapeute de son parent.
S'oublier inconsciemment...
C'est ainsi que naît ce qu'on appelle la dynamique du "Sauveur": l'enfant apprend à répondre aux besoins de ses parents (et des autres par extension), en négligeant totalement les siens. Cela donne, une fois adulte, des personnes qui savent remarquablement prendre soin des autres et être extrêmement attentives, mais qui se trouve incapable de faire pour elles-mêmes le dixième de ce qu'elles font pour autrui. [highlight=yellow]Elles oublient leurs propres besoins, ne leur accordent aucune importance et ne les font figurer qu'en bas de la liste des priorités d'autrui. Elles se maltraitent et se font violence, sans en avoir conscience un seul instant.[/highlight]
[highlight=yellow]Ce statut de "Sauveur" va en quelque sorte devenir leur identité, leur seule et unique façon d'interagir avec autrui et de se sentir aimé et accepté. S'ils ne prennent pas en charge, ils ont l'impression de ne pas exister, l'impression d'être vide et sans consistance car, dans le domaine affectif, "la prise en charge de l'autre" a été leur seul schéma de référence.[/highlight]
... jusqu'à la mise en place d'un schéma de prise en charge systématique d'autrui
Plus en profondeur, ces enfants ont appris, au contact de leur parent dysfonctionnel, dont ils avaient besoin de l'amour pour exister, que, pour être aimé, il fallait prendre en charge le parent, l'aider, le soutenir, répondre à toutes ses attentes, réparer tous ses traumas, panser toutes ses blessures... et faire tout pour que ce parent ne s'écroule pas. En effet, "Comment pourrais-je donc vivre si ma source principale d'amour et de sécurité s'effondre?" pense-t-il. C'est impossible, c'est inconcevable et c'est surtout tellement angoissant que l'enfant va se donner corps et âme pour "sauver" ce parent dont la fragilité le terrifie.
Le problème réside dans le fait que l'enfant n'a pas les moyens psychiques, intellectuels et émotionnels pour porter un adulte sur ses épaules. Il l'ignore au moment où cela se passe, mais il ne peut qu'échouer face à la tâche impossible qu'il s'assigne. Et ce sentiment d'échec va le tarauder toute sa vie: une fois adulte, il va sans cesse essayer de réussir là où il a échoué avec son parent et il va ainsi essayer de reproduire avec toutes les personnes qu'il aime ce même schéma de prise en charge désespéré (mais de toutes façons toujours voué à l'échec), et cela, même si cette personne ne le demande pas! Pour affiner les choses, l'enfant-adulte "Sauveur" va donc "choisir" -le plus souvent inconsciemment- les personnes qui sont "éligibles" à sa prise en charge.
De l'éviction inconsciente des personnes "saines"
[highlight=yellow][u]Maman était déprimée chronique? L'enfant-adulte "Sauveur" va se sentir particulièrement attiré par des hommes ou des femmes souffrant également de dépression ou de toute autre fragilité de ce type; poursuivant ainsi sa démarche de "Thérapeute ou Sauveur de Maman", en espérant, cette fois-ci, réussir à le/la sortir de son malheur. Papa était un être dépendant affectivement, un peu immature, n'assumant pas ses responsabilités de père ni de mari? Il ou elle va également tomber amoureux(se) d'êtres immatures, le contraignant à reproduire des schémas de prise en charge afin de pallier toutes leurs carences, comme il n'a cessé de le faire étant enfant. [/u][/highlight]
[u]Malheureusement, ce "choix" sélectif de partenaires correspondant aux fragilités de son parent d'autrefois écarte et évince inconsciemment de son champ relationnel toutes les personnes "saines" [/u](ou du moins sans faille psychique majeure) qui, elles, pourraient le rendre vraiment heureux/se, en lui permettant de renoncer à ce schéma toxique d'aide compulsive où il s'oublie lui-même. Pourtant, quelque part, l'enfant-adulte "Sauveur" aspire à rencontrer ces personnes, mais son mode de fonctionnement de "Sauveur" fait que, si c'est le cas, il sabote plus ou moins consciemment cette nouvelle relation car elle ne correspond pas à son besoin de réparation et de prise en charge compulsive. Il faut le comprendre: ne pas vouloir être pris en charge par lui signifie ne pas l'aimer!
Déconstruire la dynamique et gérer la culpabilité
Ces schémas doivent impérativement être identifiés, avant de pouvoir travailler sur soi-même. Ce n'est bien souvent qu'au cours d'une psychothérapie que cela est possible. Une fois identifiés, il va apprendre à remettre en question la pertinence de ces schémas, auxquels la personne en thérapie s'accroche paradoxalement très fortement car elle est persuadée qu'ils sont leur nature profonde. Ils redoutent de perdre une partie d'identité s'ils s'en affranchissent.
Il est également nécessaire de travailler la culpabilité qui s'élève en soi quand on commence à renoncer à aider, alors qu'on a fonctionné ainsi depuis qu'on est petit. Car le coeur est là: renoncer à aider, à sauver coûte que coûte et comprendre que cela ne fait pas de soi un être sans consistance. Ce n'est qu'à ce prix que l'on parviendra vraiment à aimer l'autre, sans l'instrumentaliser pour servir les exigences asservissantes de sa propre névrose de Sauveur.
Le Dr Christophe Fauré est psychiatre - psychothérapeute en pratique libérale à Paris. Il est auteur de nombreux ouvrages chez Albin Michel, dont Vivre le deuil au jour le jour, Après le suicide d'un proche, et Comment t'aimer toi et tes enfants? Le défi de la famille recomposée, Albin Michel.